• Seuls au monde

    Dimanche 4 septembre

    Nous quittons de bonne heure la capitale pour débuter la visite du pays. Celui-ci peut être divisé en 4 aires principales : la plaine côtière, les Andes, l'Amazonie et les Galapagos. En 18 jours sur place, nous allons parcourir les trois premières.

    ~ La plaine côtière, à l'ouest, bénéficie de l'influence de deux courants océaniques : celui de Humboldt, venu d'Antarctique, s'accompagne de vents écartant les nuages et provoque donc des sécheresses tandis que celui d'El Niño apporte l'humidité qui rend des régions très verdoyantes à l'image de la forêt tropicale d'Esmeralda.

    ~ Les Andes sont marquées par une double division. Nord/sud d'abord pour ce qui est relatif au volcanisme. Le nord est une zone de volcanisme actif (Cotopaxi, Pichincha ...) et sa terre se compose de cendres fertiles en majorité. En revanche, le sud est éteint, moins haut et sa terre est argileuse. La seconde opposition est est/ouest avec la présence de deux cordillères parallèles d'où le nom fréquemment usité d'Allée des Volcans.

    ~ L'Amazonie est une zone de forêt tropicale humide à la diversité étonnante.

    ~ Les Galapagos  sont un laboratoire de l'évolution où le jeune naturaliste Charles Darwin, embarqué à bord du Beagle, a étudié les pinsons avant d'échafauder sa Théorie de l'Evolution.

    Selon la zone géographique où l'on se trouve, les produits locaux n'ont pas les mêmes débouchés : la production andine est destinée au marché intérieur à l'exception des roses, celle de la côte (fruits, légumes) est tournée vers l'exportation et le pétrole amazonien rapporte de nombreuses devises au pays. Toutefois, ses effets néfastes (pollution de rivières) ont amené le gouvernement à agir davantage en faveur de l'environnement.

    Notre première destination du jour ? Panam ... ou plutôt la Panaméricaine soyons d'accords. Parce que vous pensiez à autre chose peut-être ? Il s'agit de la plus longue autoroute au monde reliant l'Alaska à la Patagonie. En Equateur, c'est une deux voies modestes, régulièrement en travaux d'élargissement pour la doubler.

    Peu de temps après avoir rejoint cette route réputée, le bus descend à flanc de paroi dans une vallée couverte de serres où sont produites des roses. L'Equateur est en effet le troisième producteur mondial après la Colombie et le Kenya et exporte la quasi-totalité de sa production. Dans cette même vallée, J-C nous explique que les travaux de terrassement en cours sont ceux du nouvel aéroport de Quito qui ouvrira dans 2 ans, l'actuel étant étouffé par la ville. Ces descriptions amènent à se demander d'où peut venir tout cet argent pour développer les infrastructures de transport à tout va ? Point de mafia ou de narcotrafic à priori. Mais alors d'où ? Le Chef de l'Etat aurait apparemment réussi au moyen d'une loi à faire passer le poids de l'Etat de moins de 5% à 51% dans le capital des industries exploitant les biens nationaux. La manne qui en résulte permet de financer l'ambitieux programme de la "Revolucion Ciudadana" en améliorant routes, éducation, santé ...

    Sur le bas-côté, acacias et broméliacées occupent l'espace avec, de temps à autre, des barbes de vieux suspendues aux branches. La roche blanche au sol est constituée de cendres volcaniques pour une fois non fertiles car trop denses.

    Le paysage ressemble à des montagnes russes qui illustrent le concept de nudos (ou noeuds) de la géographie locale. J'ai déjà abordé les deux cordillères parallèles avec au milieu l'Allée des Volcans ou couloir interandin où se situent les villes comme Quito, Cuenca ou Riobamba. Cependant, des cordillères transversales, un peu plus modestes, viennent compléter le maillage de l'espace andin. Lorsque ces dernières se font un peu plus élevées que les précédentes, on change généralement de zone administrative. L'Equateur possède 24 provinces subdivisées en régions, les nudos en sont les bornes dans les Andes. Aujourd'hui, nous quittons la province de Quito pour celle d'Imbabura.

    En milieu de matinée, nous nous arrêtons pour nous ravitailler au bord de la route car le petit-déjeuner fut léger. Mais la biscuiterie où l'on nous propose de prendre un chocolat ou un café me fait brutalement suffoquer à cause d'une odeur désagréable. Vient-elle des locaux ? Je suis en tout cas contraint de m'oxygéner à l'extérieur et en profite pour détailler les premiers éléments constitutifs du cadre du jour. Comme je l'ai dit la région est vallonnée. Deux volcans se trouvent dans mon champ de vision : le Cayambe, 3ème sommet du pays du haut de ses 5790m, est un volcan éteint à la cime enneigée et l'Imbabura qui possède un sommet plus aplati.

    Le Cayambe Imbabura

    Pour les indigènes andins, les montagnes ont été personnifiées et ne peuvent se soustraire au rite d'opposition binaire qui caractérise leurs sociétés. Elles ont ainsi hérité d'un "sexe" dans la mesure où une montagne peut être mâle ou femelle. Les deux principales montagnes de la province d'Imbabura suivent cette règle. Le mâle est l'Imbabura. Il est parfois appelé Manuel. Quant à la femelle, ce n'est pas le Cayambe qui est dans la province voisine mais le Cotacachi aussi appelé Maria de las Nieves (=Marie des Neiges), le plus haut sommet de la province avec 5050m. De son union avec l'Imbabura seraient nées les montagnes environnantes et les traces d'accouplement sont visibles lorsque le Cotacachi est couvert de neige.

    Après cet entracte qui m'a permis de prendre un bol d'air bienvenu, nous avalons à nouveau les kilomètres. Le sommet d'une butte nous dévoile le lac San Pablo sur la droite, signe annonciateur d'une arrivée prochaine. Rapidement, la route s'élève sur 18 kilomètres jusqu'à l'entrée de la réserve de Cotacachi-Cayapas. Les droits d'entrée acquittés, nous ne tardons pas à débarquer pour cette première marche d'acclimatation en altitude à 3500m au maximum. Le temps de marche vendu par JC est de 3h. Erreur de jugement lorsqu'on ne connaît pas un groupe : nous mettrons 4h30 mais le cadre en vaut la chandelle. Au moment de s'élancer, le suspense reste entier car nous ne voyons pas encore la lagune de Cuicocha, notre but de ce matin.

    10 minutes plus tard, elle accepte enfin de s'offrir à notre regard. L'étendue d'eau occupe une ancienne caldeira et, en son centre, se dressent deux îlots séparés par un étroit canal. Ces monticules ont donné un nom au lac qui, en langage quichua, s'appelle "cochon d'Inde". Sa profondeur maximale est de 160 mètres et le diamètre du cratère atteint 3km.

    Lac Cuicocha

    La promenade est surtout l'occasion de faire la connaissance d'une flore extrêmement riche. Moi qui ne connaît presque que la marguerite et la tulipe en exagérant à peine, j'engrange à plein régime les informations délivrées par JC. Voici un extrait de mon herbier :

    - Herbe contre les tiques :

    Herbe contre les tiques

    - Madagascars :

    Madagascars

    - Fougères aux sores apparents :

    Fougères aux sores apparents

    - Fucuneras dont le "tronc" est creux :

    Fucuneras

    - Fleurs à cloche dont la particularité est qu'elles ne contiennent pas de pollen sinon de l'huile :

    Fleurs à cloche

    - Orchidées dont la fleur sort de la feuille et non de la tige :

    Orchidées

    - Parapluies des pauvres, plantes à la tige épineuse :

    Parapluies des pauvres

    J'arrête ici mon album oubliant au passage d'autres plantes telles les doigts de sorcière, passiflores ou broméliacées. En termes de faune, la diversité est plus limitée : cerfs, lapins, renards et loups du paramo. Des truites ont également été introduites dans le lac mais ne se sont pas reproduites, les eaux sont donc peu fréquentées.

    Pendant une partie de la balade, nous restons sous la vigilance du Cotacachi qui accepte de se dégager quelques temps.

    Volcan Cotacachi

    Puis, sur la fin, nous cheminons sur les crêtes et apercevons son "compagnon" l'Imbabura dominant la plaine.

    Le volcan Imbabura

    L'estomac dans les talons, nous terminons la circumambulation du lac. Nous ne sommes plus que 8. Une personne perdue dès le second jour ce n'est pas mal mais ça reste dans la limite autorisée surtout quand on a faim. Elle finira cependant par arriver pour la dernière surprise : il reste une belle rampe à escalader pour atteindre le restaurant qui est positionné sur un sommet. Ah l'humour équatorien, j'adore ! Par contre, je ne crois pas que tout le monde ait partagé cette opinion.  Mais il faut avouer que la truite au sommet avait un sacré bon goût ... Servie en bas, ça n'aurait pas été pareil.

    Cette marche ayant pris plus de temps que ce que JC avait estimé (comme la suivante et celle d'après et celle d'encore après ...), nous parvenons trop tard à Peguche pour visiter un atelier de fabrication d'instruments de musique andins. Cette activité est ainsi remise à demain.

    Après les célèbres Pitufos, je reprends un instant ma casquette d'ethnologue pour vous décrire la population locale en deux mots. Adultes et enfants croisés en cette fin d'après-midi se déplacent couverts de boue. Protection contre un soleil dardant ? Remède efficace contre certains maux ou insectes ? Curistes d'une station thermale ? Non. Simplement une sortie de rallye automobile.

    La soirée est attendue avec plus ou moins d'impatience ou d'appréhension selon les cas et son dénouement approche : nous allons être déposés par groupe de trois dans des familles indigènes d'une communauté rurale, seuls, pour une immersion totale dans la culture andine. Pour moi, aucun souci car je parle et comprends l'espagnol. Je souhaite donc profiter de cette opportunité pour échanger. Pour d'autres, ce sera système D avec l'usage des mains. Filmer aurait probablement immortalisé des instants cocasses. JC nous fait "rêver" au sujet de la possibilité de traire les animaux, ce qui ne sera malheureusement pas le cas. Pour aider et détendre l'atmosphère, je propose quelques phrases passe-partout pour prendre part aux activités quotidiennes. Par exemple : "Me gustaria ayudar el albañil !" (désolé pour l'accent manquant). Je ne comprends pas pourquoi mes conseils ne furent pas suivis. Aider un maçon ce n'est pas aussi sympa que traire les ovins ? Tant pis pour eux et advienne que pourra !

    Nous abandonnons au bord de la piste 3 d'entre nous. A demain ! Trois minutes plus tard, nous sommes tous déposés au même endroit. Nous serons voisins. Le bus repart. Ca y est : nous sommes seuls ! A trois, nous nous retrouvons chez une petite dame en tenue traditionnelle appelée Maria Carmen. Elle nous accueille pour les deux prochaines nuits chez elle selon le principe du tourisme communautaire en vigueur ici.

    Maria Carmen

    Sitôt installés, nous proposons notre aide plutôt que de rester plantés à ne rien faire. Pour toute réponse, nous obtenons un "plus tard" assez vague et une invitation à aller se promener dans les environs. Personnellement, cela me déçoit un peu car j'aurais vraiment voulu partager tout le quotidien. Mais j'apprendrai le lendemain soir qu'elle nous croyait fatigués. Nous suivons donc un sentier qui descend, assistant au retour des animaux et longeant des bosquets d'eucalyptus.

    Eucalyptus

    Au plus bas, nous avons une belle vue (en dehors du premier plan...) du couchant sur l'Imbabura.

    Imbabura au couchant

    La nuit est tombée quand nous allons voir comment s'en sortent nos voisins. Nous les retrouvons assis sur le perron, autour d'une grosse bassine, à écosser des petits pois. Les railleries fusent.

    Puis, nous rentrons diner. Dans un premier temps, nous faisons la connaissance de Maria Isabella, la jeune fille d'une douzaine d'années de Maria Carmen. Un peu plus tard, nous serons rejoints à table par Julian, le père de la famille, maçon de son état. Sourire en coin face à une plaisanterie prémonitoire. Mon espagnol aurait vraiment pu servir.

    La conversation de ce soir tourne autour de la famille puis de la communauté. Maria Carmen et Julian ont 4 enfants : 1 fille et 3 fils. Ceux-ci travaillent dans l'artisanat à Quito même si leurs études les destinaient à d'autres spécialités : plantes et oiseaux pour l'un, commerce pour le second, maths et physique pour le dernier. Ils auraient préféré la campagne pour la nature, l'air pur et les animaux mais la situation économique de leur région d'origine ne leur a guère laissé le choix. Il n'y a que deux gros employeurs par ici : une cimenterie et l'artisanat d'Otavalo pour lequel la concurrence est rude. Alors ils rentrent parfois à la maison pour voir la famille, notamment lors des fêtes. Par contre, leurs parents ne peuvent s'absenter pour gagner la capitale car il faut s'occuper en permanence des animaux : moutons et brebis, poules, cuys, ânes, porcs et vaches. L'avenir professionnel de leurs fils est donc à Quito, puis, ils reviendront passer leur retraite dans la communauté, l'agrandissant par une nouvelle construction dans sa périphérie. A l'heure actuelle, elle compte 800 à 850 habitants, tous Morochos, travaillant dans l'agriculture et l'élevage, l'artisanat ou la maçonnerie. Si l'on prend le cas de Julian, il a construit sa maison en 4 ans avec les matériaux du coin dont la roche volcanique de l'Imbabura. Il a aussi édifié une salle de classe de l'école d'en face. Les enfants y étudient 7 ans puis partent dans le secondaire 6 à 7 années supplémentaires. En fonction des moyens dont disposent leur famille, ils vont ensuite à l'université (gratuite dans le public) ou passent un diplôme technique. Le principe de base de la communauté est l'absence d'impôt en contrepartie de travaux généraux. Dans le cas de notre famille, elle reçoit depuis 11 ans des touristes français, hollandais, espagnols ou anglais.

    La conversation n'ira pas plus loin ce soir car leur journée démarre tôt demain. Après la vaisselle, nous sommes invités poliment à regagner la chambre. Nous ne le savons pas, mais nous ne reverrons plus Julian.


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