• Ingapirca

    Mercredi 14 septembre 2011

    Journée hautement culturelle avec la visite du principal site inca du pays : Ingapirca. Je dis "hautement" car il se situe à 3230m d'altitude. Nous quittons Cuenca pas trop tard pour se jouer des embouteillages. La route grimpe doucement vers le site historique en passant notamment à proximité d'Azogues, l'ancienne ville du mercure. Ce métal était employé dans les mines péruviennes et boliviennes pour extraire argent et or. La ville est également très réputée pour son église de la Vierge dans les Nuages, située au sommet d'un volcan éteint il y a 7 millions d'années et lieu de ferveur populaire. Pour le reste, nous parcourons un univers vallonné parsemé de champs et de forêts mais aussi des terres d'élevage et de fabrication de fromages.

    Autour de Cuenca

    Nous découvrons avec émerveillement une rôtissoire à cuys, me rappelant au passage que je n'ai pas encore eu l'opportunité de goûter ce plat typique.

    Rôtissoire à cuys

    Au bout d'une piste, nous atteignons Ingapirca, mélange des cultures cañari et inca édifié par Huayna Capac.

    Ingapirca - Vue générale

    JC nous présente l'organisation inca. Alors que les Cañaris n'avaient pas besoin de stratification sociale, la société inca est très structurée et hiérarchisée : en haut de la pyramide, l'Inca, puis la panaca (la dynastie royale), les nobles et les prêtres, les soldats, le peuple et, pour finir, les yanaconas ou esclaves. Le pouvoir perçoit des taxes de diverses natures : travail sur ses terres (mita) ou contribution aux veuves et aux orphelins par exemple. Côté religion, il met en place un rite d'adoration solaire mais laisse libre cours aux croyances locales par ailleurs.

    L'espace est décomposé en trois parties : le ciel, la terre et le monde sous-terrain selon le principe de la verticalité du monde. Mais il y a également une division horizontale entre anan et uru, droite et gauche, orient et occident ... ces principes devant rester deux à deux en équilibre perpétuel.

    La visite des lieux commencent par les colcas, des cavités creusées dans le sol correspondant à des réservoirs pour stocker les aliments tels que le maïs.

    Colcas

    Une reconstitution de l'habitat est ensuite proposée au visiteur. Les proportions ne sont pas respectées car il s'agit simplement de montrer l'aspect général de la maison. Les murs mesuraient 4 mètres de hauteur. Les matériaux utilisés pour la construction variaient entre un mélange de bambous, paille, cailloux et chaux pour les plus modestes ou pierre pour les plus fortunés. Dans le cas des pierres, les Incas arrivaient à les ajuster de façon si parfaite que nul interstice ne subsiste une fois posées. Le toit était en chaume. La maison pouvait abriter jusqu'à 11 ou 12 personnes appartenant à plusieurs générations. Quant à sa forme, elle était rectangulaire chez les incas et elliptique pour leurs prédécesseurs, les Cañaris. A l'intérieur, des niches étaient ménagées dans les murs, symbolisant des cavernes liant les 3 composantes de la verticalité du monde présentées plus haut. Ces niches abritaient des figurations d'animaux et des coquillages chez les plus pauvres, des personnages en or chez les plus aisés, dans les deux cas en hommage aux divinités. Il y avait également une sorte d'étage pour stocker les aliments. Le pilon et le mortier étaient les principaux ustensiles de cuisine pour broyer maïs, pomme de terre ou piment et fabriquer la chicha (liqueur de maïs interdite sauf pendant les fêtes). Au sol, circulaient des cuys. Et la porte d'entrée était constituée d'un simple rideau donnant sur l'extérieur.

    A quelques pas à peine, se trouve le secteur appelé Pilaloma. C'est un des maillons de base de la socialisation, rituel si important pour les indiens. Il s'agit d'une petite cour centrale, la kancha, autour de laquelle sont agencées quelques maisons, 8 dans le cas présent. On parle d'ayllu pour désigner ce petit village pour les gens d'une même parenté, qu'elle soit réelle ou imaginaire. Le groupement d'habitations choisit ensuite un chef qui attribue les terres, organise la production, règle les litiges ... Des liens entre ces petits villages se créent à l'occasion des mariages locaux, les yarcas. De manière générale, une même communauté recherche une dispersion maximale de l'habitat entre les différentes niches écologiques et donc altitudes afin de diversifier sa production.

    Pilaloma Fondations d'une maison

    Au centre de la cour se trouve une pierre droite ayant une fonction liée à l'astronomie et un cercle de pierres correspondant à une sépulture Cañari.

    Nous contournons cette zone résidentielle pour nous présenter devant le demi-cercle semblable à un odéon antique. Il s'agit de l'ancien jardin où poussaient les plantes médicinales, cosmétiques et décoratives. Les paliers servaient à créer de légères différences de température propices à la diversité des cultures. Pour autant, la terre n'était pas surexploitée car les incas ne souhaitaient pas abuser de la bienveillance de la Pachamama (Déesse Terre) : ils pratiquaient donc la jachère sur certaines parcelles.

    Jardins des incas

    Au bas de cette zone verte, se trouve un bassin pour se purifier avant l'accomplissement des rites. A côté, broutent quelques lamas, gardiens du site. Deux d'entre eux se défient gentiment à notre passage. 

    Bassin pour la purification  

    Autour de cet arc de cercle, s'élèvent différents entrepôts de stockage de la production de chicha  sur le haut ou d'armes et de céramiques sur la droite, en contrebas des colcas.

    Entrepôt à chicha

    La conquête Inca s'est opérée en deux temps : l'envoi de diplomates autorisant à conserver la culture en échange de la reconnaissance de la supériorité du soleil ou sinon, la guerre. Lors de l'arrivée des incas sur leur territoire, les Cañaris résistèrent farouchement, puis, perdant du terrain, ils se convertirent à la guérilla quelques années plus tard. Avec la victoire des envahisseurs, ils se virent imposer le quichua comme langue. 40 années suffirent à sa diffusion. Quant aux éléments ou communautés trop agités, ils furent déportés vers le Titicaca. 50 000 personnes auraient été concernées au total. L'assimilation finit cependant par porter ses fruits car les deux derniers dirigeants incas furent équatoriens : Huayna Capac et Atahualpa. L'Empire comptait 12 millions de sujets sur 4000km, du sud de la Colombie au centre du Chili.

    Au sein de la paraca (dynastie royale), les mariages consanguins étaient autorisés, de même que la polygamie. Dans ce dernier cas, il devait y avoir une épouse principale, la plus proche dans la famille et possiblement la soeur. Pour autant, les problèmes génétiques sur les nouveau-nés étaient rares, et si cas il y avait, il se terminait par un infanticide ou l'entrée dans les ordres afin d'éviter toute reproduction et transmission des gènes récessifs.

    Au-dessus des entrepôts passe un chemin pavé : le Capac Ñan ou Chemin de l'Inca. Cet itinéraire s'étendait sur 2000km et mène également au Machu Picchu. Des cabanes appelées tambos se trouvaient tous les deux kilomètres et des forteresses tous les 20km. Des messagers pouvaient ainsi répandre très rapidement les nouvelles à raison de 250km en 24h par bonnes conditions. La distance entre Riobamba et Cuzco, le centre de l'Empire, pouvait quant à elle être couverte en deux semaines. Aujourd'hui, une grande partie de cette voie est invisible car enterrée par exemple sous la Panaméricaine. Un trek de deux jours l'empruntant autour d'Ingapirca est organisé par les agences locales.

    Capac Ñan

    Nous entrons ensuite dans l'acllahuasi, le palais extérieur décrit par La Condamine où vivaient les Aglias, de jeunes vierges chargées de sacrifices rituels. Pour ceux-ci, un lama mâle blanc était mis à mort ou, exceptionnellement (sécheresse grave), un être humain. Les Aglias s'occupaient également du culte solaire  et tissaient. Les plus jolies de toutes étaient envoyées à Cusco, à la Cour.

    Acllahuasi

    Ce lieu traversé, nous nous trouvons face à des rangées de pierres disparates mais alignées : il s'agit des blocs récupérés dans les alentours après que les conquistadors les eurent extraits du site pour les employer dans les constructions environnantes de l'époque.

    Pierres disparates

    Avant-dernière place : le temple sacré qui permet de constater l'agencement parfait des pierres. Il n'est pas possible d'insérer dans le moindre interstice ne serait-ce qu'une simple feuille de papier, sauf quand l'érosion ou les glissements de terrain y ont mis leur grain de sel. A la sortie, une porte encore debout sépare l'univers spirituel du pouvoir politico-militaire.

    Agencement parfait des pierres Temple Porte du temple

    Nous terminons enfin par le château de forme elliptique, inusuelle chez les Incas. D'aucuns avancent que, de ce fait, il pourrait s'agir d'un ancien temple cañari. C'était en tout cas l'administration locale comprenant des parties religieuses avec un temple symétrique pour l'astronomie et l'adoration du dieu solaire (une statue en or à son effigie était déplacée de façon à être toujours illuminée par les rayons du soleil tout au long de la journée).

    Temple du Château

    Pour achever la visite, JC passe du pouvoir terrestre au pouvoir céleste en nous présentant le maître du panthéon inca, Viracocha, au-dessus même de l'astre solaire. En effet, ce dernier est comme attaché à un piquet imaginaire car sa course est toujours la même d'est en ouest. Le soleil est de plus davantage visible aux humains. Viracocha, lui, est représenté comme un être à la peau claire. L'arrivée des conquistadors coïncide avec une prophétie annonçant son retour par l'océan d'où la confusion des autochtones et un accueil non-hostile dès l'accostage (échange de présents tels des perles de verre). Une autre croyance ancienne déclare que le temps suit un cycle de 500 ans de bonheur puis 500 ans de malheur. L'arrivée des espagnols fut un signe annonciateur de la seconde période tandis que l'on s'attend depuis 1992 à l'entame d'un demi-millénaire faste. En 1992 fut créé le parti politique indigène Pachakutik. Peu de temps après, les premiers Présidents favorables aux indigènes ou en faisant partie arrivèrent au pouvoir : Correa en Equateur, Morales en Bolivie ...

    Sur ces superstitions, nous quittons le site pour un restaurant au tilapia "vaudou" (vous auriez dû prendre de la viande comme moi !) et abritant de vraies peluches vivantes.

    Autour d'Ingapirca Paysage autour d'Ingapirca Lama très doux

    Puis, nous rallions notre auberge au pied du géant Chimborazo. La route étant très longue, nous découvrons de nouveaux aspects sur la vie indienne dans les Andes comme l'importance du spondylus ou la justice indigène.

    Le spondylus est un coquillage se récoltant au fond de la mer. Il fut longtemps utilisé comme monnaie. Les violets que l'on trouve à de plus grandes profondeurs, avaient davantage de valeur que les oranges. Sa profusion était liée notamment à la pluviométrie : lorsque le courant de Humboldt prenait le pas sur celui d'El Niño, le nombre de coquillages diminuait. C'était aussi un présent aux dieux sous forme de coquilles broyées. Les hommes pouvaient garder pour eux l'éphémère après ce don : le crustacé.

    A l'état naturel, il n'était présent que dans quelques coins d'Equateur. Ce sont les Cañaris qui, par leurs échanges commerciaux avec le Pérou et la Bolivie, furent les vecteurs de sa diffusion. Cette tâche fut facilitée par la géographie locale : il n'y a pas de cordillère occidentale infranchissable les séparant de la plaine côtière à cet endroit.

    Quelques tours de roues plus loin, JC aborde la justice indigène officiellement reconnue par les autorités et qui se substitue ou complète le droit équatorien. Ses détracteurs qui n'essaient pas d'en comprendre les fondements, la qualifient abusivement de barbarisme. Il faut savoir que chez nous la peine est destinée à punir celui qui a commis une faute alors que chez les indiens, le châtiment est perçu comme un remède médicinal visant à la guérison. Il peut revêtir différentes formes comme la flagellation avec des orties ou un bain d'eau glaciale à 4000m d'altitude ... Dans les faits, ce redressement des torts indigène s'avère plus efficace que l'application du droit roman car il y a moins de bureaucratie et que les "procès" sont instruits plus rapidement et à un moindre coût. La plus grande efficacité des sentences tient également à la conception de l'individu dans la société : pour nous, l'individualisme, protecteur et rassurant, prédomine malgré le besoin d'appartenance à un groupe social via l'adoption de codes, de rites ... Chez l'indien en revanche, la communauté est essentielle. On l'a déjà vu avec les principes de redistribution et de réciprocité. Dans notre cadre de la justice, le châtiment est vécu comme une honte sociale doublée d'une exclusion de la société. Rien de tel pour ramener les individus dans le droit chemin. Pour vous représenter la dureté de la punition, figurez-vous par exemple que l'on contraigne les italiens à parler les mains attachées, les américains à avaler des hamburgers aux brocolis ou des français à manifester leur mécontentement sans se mettre en grève. C'est inconcevable ? La marginalisation sociale est une situation tout aussi crainte par les autochtones. Vous imaginez donc à quel point la justice peut changer l'homme.

      

    Notre route emprunte une fois de plus de superbes paysages accidentés et champêtres, vallées encaissées et montagnes acérées. Du haut d'un col, nous planons une nouvelle fois au-dessus des nuages ou voyons de haut la ville d'Alausi, une frontière à plusieurs égards : entre volcans actifs et éteints, entre Puruas et Cañaris ... C'est aussi trois jours par semaine, la station de départ du train pour la Nariz del Diablo, un itinéraire au bord du vide (falaise de 765m) et à flanc de paroi. Sa voie est en cours de restauration afin de pouvoir rétablir la circulation sur un réseau de plus de 400km.

    Route vers Riobamba Route de Riobamba Alausi

    Nous allons longuement longer les rails à partir de cette cité jusqu'à Riobamba.

    Après Alausi, nous traversons la région sèche de Palmira. Les Puruas au poncho rouge succèdent aux Cañaris. Il s'agit de la communauté la plus nombreuse dans le pays.

    A cette zone succède la vallée de la Colta dans la région de Chimborazo. Les plants de quinoa se multiplient dans ce "grenier" de l'Equateur. La récolte est manuelle. L'épi et les graines sont battus afin de séparer le grain de son enveloppe. Pour faciliter le tri, les agriculteurs font également "sauter" le tout sur un drap ou un linge. En raison du climat, la récolte peut se faire toute l'année à la seule condition que l'enveloppe soit dorée et non rouge.

    Quinoa pas à maturité

    Nous marquons une halte devant la petite chapelle en pierre de la Balbanera, la plus ancienne du pays, édifiée en août 1534. Tout n'est plus d'origine à cause des mouvements d'humeur de la planète mais quelques pierres d'alors ont résisté à travers les siècles. Ce sanctuaire religieux se détache par rapport à son arrière-plan : le Chimborazo, plus haut sommet de l'Equateur avec ses 6310m. Cette montagne comprend 3 pics en cascade : le Whymper du nom de l'alpiniste anglais qui attint en premier son faîte en 1880 au terme d'une course face aux italiens, l'Equateur puis le Vintimille (le général qui l'a franchi en premier).

    Chimborazo Chimborazo

    Avant de rejoindre notre hôtel en rase campagne, nous faisons des provisions à Riobamba, ville à l'histoire étonnante. Initialement, elle fut construite à 17km de sa position actuelle, mais un séisme la rasa entièrement en 1797. Elle fut donc déplacée. C'est également le berceau de la Nation Equatorienne car c'est ici qu'a été signée la première Constitution du pays en 1830, mettant fin à la domination espagnole.

    D'une hauteur de la ville, nous avons une magnifique vue sur les volcans environnants au soleil couchant : Chimborazo bien sûr mais aussi le Carihuairazo prisé des andinistes, los Altares (=les autels), 9 sommets inaccessibles, et le terrible Tungurahua, volcan très actif de 5025m dont le nom se traduit par "gorge de feu".

    Carihuairazo Los Altares Los Altares Tungurahua

    C'est justement sous un ciel de feu que nous gagnons notre hébergement du jour.

    Ciel de feu

    Pour la seconde fois en un mois, la clé reste coincée dans la porte de l'habitation sans pouvoir l'ôter et, à nouveau, ce n'est pas ma faute. Comment être sdf devant chez soi grâce au précieux concours de 007 ? Heureusement que la porte était ouverte à ce moment-là !


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  • Commentaires

    1
    Lundi 3 Décembre 2012 à 15:25

    Bonjour,

    Très bel article et photos. Lors de mon séjour en Equateur, je n'ai malheureusement pas pu me rendre à Ingapirca, faute de temps. J'espère pouvoir y aller la prochaine fois !

     

    Sébastien

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