• Délires en altitude

    Jeudi 15 septembre 2011

    Au lever, l'horizon est extrêmement bouché : on ne voit même pas le pied du Chimborazo pourtant à peu de distance de nous. Va-t-on connaître la même désillusion qu'au Cotopaxi c'est-à-dire une montée seulement pour la gloire ?

    Depuis quelques jours déjà, Jorge, notre chauffeur, m'a expliqué qu'à chaque ascension  il tentait de battre son record précédent. J'avais donc décidé dès Guayaquil de relever ce défi avec lui aujourd'hui. Si nous ne voyons rien là-haut, j'aurai au moins cet objectif ! Et c'est aussi une façon pour moi de me dépenser à nouveau après le Cotopaxi en progressant à un rythme soutenu.

    Notre véhicule s'élance dans la brume en direction d'un premier refuge à 4800m. JC nous donne quelques précisions sur l'ascension qui nous attend même si nous ne visons pas le sommet. C'est un ancien volcan dont la dernière éruption remonte à plus de 10 000 ans. Son faîte est le point le plus éloigné du centre de la Terre du fait du renflement de la planète au niveau de l'équateur : il dépasse de peu l'Everest. Son ascension est beaucoup plus exigeante que celle du Cotopaxi car les chances de succès sont de 70% pour ce dernier contre à peine 45% ici.

    Le Chimborazo est la montagne la plus haute depuis le centre de la Terre

    A 4100 mètres, nous entrons dans la zone d'El Arenal, la frontière du paramo. La visibilité s'améliore. De nombreuses vigognes évoluent en liberté dans ce cadre et ne peuvent être domestiquées. Elles ont été réintroduites suite à des dons du Chili puis du Pérou. De 400 individus au départ, leur population dépasse à présent les 4000 têtes. Bien que sauvages, elles sont capturées chaque année, tondues puis relâchées car la laine de leur poitrine, très fine, est aussi prisée que le cachemire.

    Vigogne Vigogne Vigognes 

    Vigogne Chimborazo

    Dans les environs, on retrouve les flèches de feu et caracaras en plus d'astragales.

    Nous nous garons au refuge Hermanos Carrel à 4800 mètres, du nom des deux guides suisses qui accompagnèrent Whymper lors de sa première ascension victorieuse.

    Refuge Hermanos Carrel

    De là, un kilomètre de montée nous conduit à 5000m et à un second refuge : celui de Whymper. Le chemin est très pierreux et poussiéreux. Comme convenu, je pars devant avec Jorge et notre photographe officiel de colibris, également très en jambes. Nous avalons relativement bien cette première rampe de la journée et Jorge va nettement battre son record précédent.

    Refuge Whymper  

    Ayant du temps devant nous, nous contemplons les hauteurs entre deux passages nuageux sur le sommet. En revanche, la vue est bien plus dégagée en contrebas, donnant sur un univers minéral tricolore.

    Sommet jouant à cache-cache Paysage d'El Arenal

    Après une dizaine de minutes, nous décidons de rebrousser chemin pour accompagner l'arrière de notre groupe disséminé sur la pente. Tous parvenus au premier point de ralliement, nous restons à tour de rôle puis ensemble à côté de la plaque avant de reprendre la marche en avant.

    A côté de la plaque

    [NDLR : pas de photo du groupe ici pour préserver (comme dans le reste du blog) l'anonymat]

    L'objectif, ce sont désormais les aiguilles Whymper à 5300 mètres. Certains décident de nous attendre là, JC file à son rythme avec ceux qui peuvent le suivre, je souhaite pour ce tronçon achever l'enquête sur la mystérieuse disparition de Polochon et que tous ceux qui partent atteignent le but fixé.

    Vers les aiguilles Whymper

    La montée est abrupte et pierreuse. A force de ne pas attendre l'arrière-garde, JC et le groupe de tête finissent par être masqués par le relief et nous devons nous orienter seuls. Hélas, les traces sont dures à suivre sur les rochers et nous nous engageons dans la mauvaise voie. Pendant ce temps-là, le groupe arrivé à destination regarde amusé la prestation du Président qui connaît un moment d'absence avec son strip-tease le plus haut du monde. Serait-ce un des symptômes du mal aigu des montagnes ? Nous l'immortalisons tous (et je te fais une fleur, je ne mets pas ta photo en ligne. Tant pis pour le buzz !).

    Dans l'ascension

    Puis, JC lassé d'attendre entame la redescente. En nous croisant, nous apprenons d'abord que les chutes ne se comptent plus tellement le terrain est instable. Effectivement, nous ne croisons pas notre avant-garde mais une escarmouche de Pitufos tout bleu. Etrange ? La seconde nouvelle est davantage une question : "Avez-vous repéré les morceaux de chocolat qu'on vous a laissés dans l'ascension ?". Le coup est rude, je serais presque prêt à retourner ratisser la zone pour dénicher le trésor. Dommage d'avoir perdu la trace !   Enfin, JC termine par une remarque qui a le don de me transformer instantanément en abominable homme des neiges (la nouveauté c'est d'être homme des neiges, pas d'être abominable) tellement je la sentais venir : il faut faire demi-tour car on n'a plus le temps. Je suis sacrément amer qu'il n'ait pas fait son travail de guide sur ce coup-là et qu'il tente de nous priver de sommet. L'ayant attendu plus de 20 minutes à 5000m puis étant volontairement resté en arrière à sa place pour mener l'enquête, la sanction est cruelle. Je continue donc de grimper avec deux personnes que je remercie d'avoir supporté mes instants de délires (et d'imbécillité). L'objectif est à peine à une centaine de mètres désormais, seulement quelques pas par rapport à tous ceux auxquels nous avons consentis jusqu'ici.

    Des aiguilles, la vue sur les hauts plateaux est tout autre : le relief se pare d'une myriade de couleurs me rappelant les paysages himalayens ou des Tian-Shan. Les deux refuges apparaissent en contrebas, fourmis perdues au milieu de l'immensité.

    Vue depuis les aiguilles Whymper Vue sur les refuges Vue vers le sommet 

    Tous ceux qui auront entamé les 300 derniers mètres de dénivelé positif auront atteint le sommet, ce qui me réjouit puisque, face à de telles difficultés, je considère davantage le groupe que ses individualités et la victoire réside plus dans l'atteinte collective de l'objectif plutôt que dans l'accomplissement d'une performance maintes fois réalisée voire pulvérisée par tant d'autres. Voilà une nouvelle raison qui m'avait déjà guidée au Népal et pour laquelle je me suis dépensé seulement dans les 200 premiers mètres avant d'investiguer par la suite. Je n'ai par contre toujours pas de piste pour Polochon.

    Nous venons d'atteindre le point culminant du circuit. Notre redescente va être rapide pour rattraper un peu de notre "retard". Pour autant, nous évitons tous trois les chutes. Mais si j'avais su ce qui nous attendait à table, j'aurais peut-être fugué ou aurais été brouter avec les vigognes. La majeure partie du pique-nique, pris dans le refuge, est bonne même si je n'ai pas très faim. Mais une seule chips de peau de porc soufflée va me mettre sur le flanc pendant deux heures. Je me souviens juste d'une personne (indienne?) faisant l'andouille au milieu de la descente mais pour le reste c'est le black-out intégral. Au prix d'un bel effort, je réussirai à m'extirper du véhicule pour une rapide photo d'un patchwork verdoyant sur des pentes sévères et à cheval sur les crêtes.

    Patchwork verdoyant

    De retour dans mes "baskets", j'apprends que nous sommes sur la route d'Ambato. Cette ville fut totalement rasée en 1949 par un violent séisme. Quant à son nom, c'est celui d'une grenouille aujourd'hui disparue.

    Le Chimborazo sur la route d'Ambato

    Durant ce trajet, JC évoque les migrations internes ou externes au pays (outre la nôtre bien sûr). En 1964 fut mise en place la première réforme agraire prônant la redistribution  partielle des terres des haciendas en faveur des indiens. Chaque famille récupéra en moyenne 7 hectares et constitua ainsi un minifundio. Mais les meilleures terres furent accaparées par les riches et les puissants tandis que les moins productives furent laissées aux indigènes (terres peu fertiles ou en montagne). De plus, les autochtones ont eu tendance à morceler leur terrain pour les répartir entre leurs héritiers rendant la survie impossible sur ces exploitations toujours plus minuscules. Au final, nombre d'entre eux furent contraints à l'exode rural vers les invasiones (bidonvilles) des grandes villes comme à Guayaquil ou au sud de Quito. D'autres connurent meilleure fortune en s'organisant en coopératives comme à Salinas. Soutenus par d'autres coopératives d'épargne et de crédit, structures parallèles aux banques et leur concédant des prêts avantageux, ils sont parvenus à subsister.

    Un autre facteur de migration fut la crise de 1999 évoquée précédemment. Une partie de la population émigra vers l'Espagne ou les Etats-Unis à cause de la dégradation de la situation économique et de la perte de leurs économies suite à la faillite des banques. La crise actuelle en Europe générant une hausse significative du chômage, certains d'entre eux sont de retour au pays natal. S'y ajoute une immigration venue du Pérou (maçons) ou de Colombie (réfugiés fuyant les guérilleros).

    Ambato atteinte, nous filons sur Baños, ville au nom pas très poétique selon le sens qu'on lui donne : en espagnol, ce mot signifie "toilettes" mais aussi "bains". C'est bien entendu comme station thermale qu'il faut la considérer. Avant de la rejoindre, nous passons au pied du volcan Tungurahua. Son réveil date de 1999 et contraignit les autorités à évacuer la ville. En 2006, une autre éruption eu la même conséquence. Malgré les précautions, deux villages furent détruits et 16 morts déplorés. A Bilbao, seules les tours de l'église émergent du champ de lave. Quant à la route Ambato-Baños, elle fut recouverte sur un grand tronçon. Aujourd'hui, sur notre trajet, des témoignages subsistent de la catastrophe comme les travaux de restauration de la route, une coulée séchée sur les flancs de la montagne, des impacts de bombes sous la forme de "petits" cratères de quelques mètres de diamètres ou un monument totalement désintégré. A l'origine, il y avait trois oiseaux sur un arbre. Il en reste un seul, les autres ayant pris leur envol ... dans de nombreuses directions si je puis dire. Par temps dégagé, des fumerolles se dégagent du sommet.

    Coulée de lave sur le Tungurahua Cratère et monument désintégré

    Au détour d'un ultime virage, nous entrons dans Baños. Nous sommes en seconde partie d'après-midi et pouvons encore envisager quelques activités. La plupart d'entre nous partent tenter les bains. Je ne suis pas le mouvement n'étant pas très attiré. Aux bains, le principe est simple, l'appliquer moins évident : il faut mariner respectivement dans un bassin d'eau froide, un d'eau chaude (une trentaine de degrés) et un autre bouillant (42°C). Pour une cuisson optimale, il convient de réitérer plusieurs fois ces 3 opérations. Pour le goût, on peut même rajouter quelques pieds de champignons ou champignons sur pieds. J'ai appelé cette recette "Comment transformer les Pitufos en écrevisses ?". Mon programme est plus soft, je me charge de trouver le restaurant pour le groupe et de faire le tour des agences d'aventures pour que nous décidions d'un programme pour l'après-midi libre du lendemain.

    Le repas est une nouvelle occasion pour moi d'un cours d'espagnol particulier avec deux professeurs après ceux du Quilotoa et de Cuenca. Je continue également d'apprendre à mieux connaître JC et Jorge. Parmi les thèmes partageables ici, je découvre une mesure intelligente que Correa a prise depuis son arrivée au pouvoir (je ne sous-entends pas qu'il n'y en a pas d'autres) : l'entrée dans les parcs nationaux coutait 10$ pour tous avant sa Présidence, elle est à présent tombée à 2$. Je trouve personnellement choquant de payer pour découvrir son patrimoine mais cette décision va déjà dans le bon sens et a permis à des équatoriens de se rendre dans leurs espaces protégés pour la première fois. Il est cependant certain que pour la majeure partie de la population, le problème ne se posera malheureusement jamais puisqu'elle a déjà du mal à gagner de quoi vivre.

    Côté gastronomie, je tente un plat traditionnel : le llapingacho, une tortilla de pomme de terre fourrée au fromage. Délicieux !

    Enfin, nous débriefons au sujet du lendemain après-midi : certains retourneront aux bains ou visiter la ville, d'autres rêvent d'un massage et 4 d'entre nous se sont engagés pour du canyoning. Je suis vraiment impatient d'y être pour une nouvelle première !!!


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