• Mardi 6 septembre 2011

    Ce matin, l'orchestre rural ne s'est pas réveillé avant nous en dehors des coqs. L'heure du lever est légèrement avancée car nous allons aider Maria Carmen au champ avant que nos routes ne se séparent. Le petit-déjeuner englouti, nous récupérons des binettes et passons derrière la maison. Notre rôle est de retourner la terre autour des plantations pour ôter les mauvaises herbes mais également d'arroser les jeunes pousses. Les cultures présentes sont multiples : carottes jaunes, carottes blanches, fèves, quinoa, salades, citrons, herbes pour alimenter les cuys, quelques arbres fruitiers ou arbustes porteurs de baies. Le champ de cette famille est destiné à garantir son autosuffisance alimentaire, rien n'est vendu à l'extérieur. Lorsque la saison vient de récolter le maïs, Maria Carmen fait appel à son frère et à ses cousins pour l'assister mais le reste du temps, elle s'occupe seule de l'entretien du terrain.

    Maria Carmen

    Vient alors le moment de la séparation définitive car, quand bien même je voudrais entamer une correspondance, elle ne sait pas lire. Pour tout remerciement, je ne peux lui laisser que quelques modestes présents et la promesse de lui envoyer prochainement mes photos d'elle. Elle restera dans ma mémoire comme le principal instant de partage de ce voyage, partage du quotidien d'une famille indigène des Andes équatoriennes, d'une tranche de vie que j'aurais souhaité découvrir un peu plus longuement s'il ne fallait toujours courir après le temps. En tout cas, cette expérience en appellera certainement d'autres ailleurs sur la planète et quelques idées me trottent déjà dans l'esprit à ce sujet.

    Retrouvant nos voisins, nous apprenons qu'eux aussi étaient dans les champs ce matin pour semer et arroser. Le véhicule s'engage ensuite sur la piste en direction du marché d'Otavalo. Il s'agit d'un important marché indien mais qui atteint son point d'orgue le samedi. Le reste du temps, il se cantonne à la Plaza de Ponchos et semble s'adresser prioritairement aux nombreux touristes passant au quotidien par ce lieu. Le samedi, le marché propose vêtements traditionnels, alimentation et vente de bétail. Sa proportion est telle que les clients peuvent venir de Pérou ou de Colombie et il rivalise avec les marchés de Pisac au Pérou et un second au Guatemala.

    Les Otavaleños sont des tisseurs extrêmement réputés. Sous les incas et les espagnols, ils étaient astreints à tisser pour le pouvoir. La réforme agraire de 1964 leur a octroyé plus de libertés. Ils constituent une communauté plutôt aisée car très ouverte à l'international. A leur début, leur matière première était la laine d'alpagas à laquelle ils ont progressivement substitué le coton puis la laine de moutons. Leur motif principal est le visage mais qu'il ne représente jamais en entier : soit une joue, soit de derrière ... Les artisans d'autres communautés s'escrimant à reproduire leur art usent de motifs plus inhabituels : visages entiers ou animaux d'autres continents tels l'éléphant ou la girafe ! Aujourd'hui, les artisans tendent à se diversifier en travaillant le bois ou en s'attaquant à la peinture naïve.

    Une autre caractéristique des Otavaleños est leur manière de pratiquer le commerce. Dès l'époque précolombienne, ils ont eu l'habitude de commercer en dialoguant car il s'agissait d'une forme de sociabilisation, d'un besoin d'établir une relation avec l'autre avant tout achat. C'est ce qu'on appelle en quichua le randi randi. Plus tard, les puits d'eau constituèrent le lieu de sociabilisation des femmes. Ils devinrent alors un motif récurrent de représentation pour le tissage. Aujourd'hui, les commerçants semblent contents de pouvoir échanger avec les touristes de passage, ce qui illustre bien leur ouverture sur le monde. Et négocier est bien vu car cela s'inscrit dans la démarche que je viens de décrire.

    Otovalo - Plaza de Ponchos

    Peu attirés par ces étals, nous gagnons un autre marché autrement plus attractif : celui aux fruits et aux légumes. La matinée commence à peine et pourtant des équatoriens sont déjà attablés en train de dévorer de copieux plats. Leur journée a dû commencer bien tôt !

    Petites échoppes pour se restaurer Fèves, céréales et légumineuses

    Les autres attractions de la ville étant limitées en dehors des réverbères originaux, d'un autel richement doté et de façades ou de murs décorés, nous nous mettons à chercher un bon plan pour se restaurer ce midi et le trouvons sur la place des ponchos même.

    Réverbère Autel Façade colorée Mur décoré

    Le reste de cette journée de transition n'est qu'un long transfert vers le pied du Cotopaxi auquel nous nous attaquerons demain. Nous parcourons une nouvelle fois un itinéraire vallonné, encadré par les deux cordillères et coupant une dernière fois la ligne équatoriale en direction du sud. JC profite du transfert pour nous en apprendre davantage de la vie en Equateur.

    Les plus jeunes vont au jardin d'enfants. L'école primaire est ensuite obligatoire pour tous alors que le lycée ne l'est plus. Les jeunes en sortent vers 17-18 ans. L'enseignement est gratuit dans le public (les écoles et lycées fiscaux) et payant dans le privé. On retrouve le même principe pour les universités. Pour autant, tous ne peuvent poursuivre leurs études jusque-là car, à la campagne, les jeunes sont souvent appelés à aider leur famille pour les cultures. Le public propose des cours de grande qualité, parfois même meilleure que dans le privé. Etant donnée la forte proportion d'indigènes vivant dans le pays et parlant le quichua (3 millions de personnes sur 13 millions), des écoles pluriculturelles ont ouvert leurs portes. Une des grandes fiertés de l'Equateur est le faible taux d'analphabétisme comparé à d'autres pays andins comme le Pérou ou la Bolivie. Cela s'explique par le fait qu'à la fin du lycée, les jeunes avaient le choix entre un an de service militaire ou d'alphabétisation de la population.

    Sur le marché du travail, le taux de chômage est très variable d'une estimation à l'autre du fait de la prise en compte ou non des nombreux travailleurs saisonniers. Dans tous les cas, les indemnités sont inexistantes sauf pour les plus démunis qui touchent une prime à la dignité de moins de 200$ par mois. 40% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les salaires pratiqués paraissent dérisoires et très disproportionnés : le salaire moyen est de 300$ par mois, les ouvriers gagnent de 280 à 300$, un professeur 700$, un policier 800$, un militaire 700$, un employé de banque 500 à 600$. Les fonctionnaires sont bien payés et bénéficient d'avantages en plus grand nombre que dans le privé. En précisant qu'un loyer pour un logement ouvrier à Quito revient à 100$ par mois, on comprend le besoin de travailler à 2 dans ce type de ménage. La journée de travail dure 8h, la semaine 40h et la durée légale du travail est de 40 ans.

    Les allocations sont réduites ou inexistantes. Par exemple, les allocations familiales n'existent pas. La retraite oui et son montant tend à augmenter mais il part de vraiment très bas ! Les personnes âgées partagent la plupart du temps le foyer de leurs enfants. Dans de rares cas, elles vivent en maisons de retraite. Dans les communautés indigènes, la garde des anciens est un sujet de querelle car ils sont perçus comme des sages que l'on est fier de garder chez soi. La structure traditionnelle de la famille élargie reste donc forte même si la famille nucléaire tend à grignoter du terrain.

    En 1999-2000, le pays a connu une crise de grande ampleur avec la baisse de ses rentes pétrolières, une inflation galopante et une impossibilité de rembourser sa dette extérieure. La mesure la plus impopulaire fut alors d'abandonner la devise nationale, le sucre, pour le dollar. Plusieurs banques mirent la clé sous la porte. Conjugué à un taux de change désavantageux du fait de l'inflation, la population s'appauvrit et pour partie, perdit ses économies. Et sur le marché de l'emploi, des entreprises tercerizadoras maintenaient à un haut niveau la précarité en fournissant aux entreprises une main d'oeuvre à contrat temporaire pour éviter la formation de syndicat. Pour faire face à cette spirale infernale, les différents gouvernements successifs ont privilégié le paiement de la dette et des mesures impopulaires d'austérité. Le Président avant Correia a commencé à prendre le contrepied de ses prédécesseurs et à insuffler un vent de réformes. C'est ainsi que se fit connaître Correia qui était alors Ministre des Finances. Porté au pouvoir en 2006, il commence à proposer des mesures très populaires, par exemple au niveau de la protection sociale. Jusqu'alors la Sécurité Sociale ne concernait qu'une minorité lorsque les patrons déclaraient leurs salariés. Désormais, elle est obligatoire et ne pas y cotiser est un délit. Son champ d'action couvre la santé, les assurances, la retraite (modeste) et des prêts à taux préférentiels. Et l'objectif à terme est qu'elle devienne universelle.

    En 2008, une nouvelle Constitution est mise en place avec quelques mesures négatives (comme le renforcement des prérogatives du Président qui est l'objet de critiques de l'opposition) mais surtout un paquet de principes favorables au progrès, social notamment. L'armée est professionnalisée et le service militaire ne s'accomplit plus que pour les volontaires après la fin du lycée. La pluri-culturalité devient officielle : les indigènes voient reconnaître leurs propres systèmes culturels, politiques et judiciaires comme nous le verrons plus tard. Les tercerizadoras sont déclarées interdites. La dette est renégociée et pour partie déclarée illégitime. Les plus riches doivent mettre la main à la poche pour la rembourser et épaississent les rangs d'une opposition menée par le maire de Guayaquil notamment. Le système de santé est modernisé et les hôpitaux du public mieux dotés que le privé avec des délais d'attente plus courts. L'environnement commence à être pris en compte dans les décisions.

    Avec un tel programme, le Président fut largement réélu dès le premier tour. En Equateur, le vote est obligatoire entre 18 et 60 ans sous peine d'amende. Il donne en outre droit à un papier officiel permettant entre autres d'exercer certains métiers ou de voyager à l'étranger. Pour les 16-18 ans et les plus de 60 ans, il s'agit par contre d'une simple droit, facultatif donc. Et les femmes votent depuis 1929 ... Le mandat du Chef de l'exécutif est de 4 ans renouvelable. Correia n'a pas été au bout de son premier mandat mais a tout de même été réélu aisément. Son mandat actuel se termine dans deux ans.

      

    A l'issue de tant de culture, nous atteignons la fin du parcours du jour en traversant la province de Machachi, terre d'élevage qui fournit 25% du lait équatorien. Le gros bétail, très présent ici, fut introduit par les espagnols. Enfin, c'est le territoire des Chagras, les gauchos des Andes équatoriennes.

    Province de Machachi

    Un peu plus loin, nous quittons la Panaméricaine pour le charmant Cuello de  Luna, une auberge des plus confortables. Profitant des dernières lueurs du jour, nous prenons des risques inconsidérés en allant nous promener inconsciemment au milieu de veaux, cuys et autres herbivores gardés par un chien ... attaché.

    Cuello de Luna

    La fin de soirée est l'occasion d'une adaptation de la Guerre du Feu où chacun sait allumer le feu mais où certains ne savent pas le conserver ... Ce n'est pas gagné malgré les techniques les plus improbables dont je ne donnerai pas le détail ici pour pas que des enfants embrasent l'habitation de leurs parents. Personnellement, je préfère m'en passer ce soir d'une part, parce qu'on est encore "bas" et qu'il ne fait pas trop froid et d'autre part, pour tenter de redorer un blason terni bêtement la veille.

      

      


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  • Mercredi 7 septembre 2011

    Nous sommes au pied de l'un des deux géants de l'Equateur : le Cotopaxi. Mais depuis hier soir le temps est relativement couvert et nous n'avons pu encore voir son faîte couronné de neiges éternelles. A défaut d'une bonne vue, nous sommes sûrs de passer la matinée la tête dans les nuages. Levé tôt, je sors socialiser avec les lamas de l'hôtel, fort des conseils délivrés par JC sur la route d'Otavalo.

    Lama

    Le bus de Jorge s'élance à l'assaut de la montagne pour nous conduire progressivement à 4600m.

    Le Cotopaxi est le 2nd sommet du pays, haut de 5897m et indépendant des deux cordillères. C'est également le volcan actif le plus élevé du monde. Sa dernière éruption remonte à 1877. Il détruisit à cette occasion la ville de Latacunga, sise à 40 km, pour la cinquième fois de son histoire. Et il a craché jusqu'à 20 mètres de cendres au cours des 200 dernières années. En moyenne, les éruptions majeures interviennent tous les bicentenaires. Aujourd'hui, l'activité est en train de remonter selon les vulcanologues et le maître des lieux expulse de temps à autre quelques fumerolles. Son nom signifie "Cou de la Lune" en quichua comme si celle-ci sortait du cratère pour monter dans le ciel, projeté comme un boulet tiré d'un gigantesque canon terrestre.

    Une fois franchi le poste de contrôle du parc, nous circulons au milieu d'une vaste forêt de conifères de deux essences principalement : les patulas et reticolatas. Les premiers sont des pins avec des aiguilles tombantes provenant du Canada tandis que les seconds ont les aiguilles montantes et viennent d'Alaska. Leurs rangs bien alignés témoignent qu'ils ont été plantés afin d'exploiter leur bois.

    A une altitude un peu supérieure, on finit par retrouver le páramo comme au Fuya-Fuya il y a deux jours. C'est Humboldt qui, le premier, décrivit en 1903 cette végétation. Il la considère comme humide par opposition à la puna péruvienne et bolivienne bien plus sèche et caillouteuse. Pour la puna, ce climat s'explique par la grande distance séparant les deux cordillères alors qu'ici, elles sont resserrées. Humboldt parvint ainsi à lier latitude et altitude pour expliquer le paysage, la proximité de l'Equateur contribuant selon lui à la méga-diversité. Il estime la perte de température à 1°C tous les deux cents mètres et explique qu'à chaque palier se développe une niche écologique ou un microsystème différent de celui juste au-dessous ou au-dessus.

    Quant à la faune de ce parc naturel, elle comprend beaucoup d'animaux difficiles à voir : pumas, ours à lunette, cervidés dont les cervicabras (petits cerfs) et les cerfs à queue blanche, lapins, condors, loups et renards du páramo. Pour nous, aujourd'hui, rien de tout ça. Nous nous extasions donc devant un gligle, nom qu'il doit à son cri.

    Gligle

    Certes, il est un peu flou mais, à ma décharge, il n'arrêtait pas de bouger ce coquin !

    Entre 4100m et 5000m, nous progressons dans l'univers du rumi alta, la terre des cailloux. La végétation y est rase hormis les désormais connues chuquiraguas, les flèches de feu à la fleur orange vif. Notre piste croise également celle de chevaux sauvages, pas farouches pour deux sous, et d'un caracara.

    Chevaux sauvages Rumi Alta Caracara Chuquiraguas

    Nous n'avons pas encore commencé la marche et pourtant une partie du groupe est déjà comateuse (je vous fais une fleur, je ne sors pas les photos d'avant l'effort...). La montée s'annonce coriace : d'abord parce que nous n'avons jamais été aussi haut depuis le départ mais aussi parce que les conditions météos ne sont pas très optimales entre le vent et les épisodes nuageux brouillant la visibilité. D'ailleurs, même le minibus n'arrive plus à grimper et repart en marche arrière. Il va nous falloir descendre quelques mètres pour que les choses aillent à nouveau dans le bon sens.

    Le dénivelé à parcourir est faible (200m) mais la distance plus conséquente que ce qu'il n'y paraît sur la photo. Et la consistance du sol ne va pas nous faciliter la tâche car il s'agit de cendres volcaniques qui agissent comme le sable d'une dune ...

    Montée vers le refuge

    Pour venir dans ce pays, j'ai dû procéder à des arbitrages au niveau des vêtements sachant qu'on allait connaître le chaud et le froid. N'étant pas très couvert à la sortie du véhicule, je décide de faire la marche du jour à mon rythme plutôt que d'attendre le groupe et de me refroidir. De toute façon, la météo, la pente et le manque d'oxygène dispersent d'eux-mêmes chacun de nous au fil des pas. La brume laisse de temps en temps place à du crachin, de la neige ou même du grésil. Normalement, ce n'est pas dans ce pays que l'on se trouve le plus proche du soleil ?

    Parvenu proche des 4800m et du refuge, le temps s'améliore un peu pour moi. C'est l'occasion de demander à une personne rencontrée sur place d'immortaliser cet instant où je suis vraiment à côté de la plaque.

    Etre à côté de la plaque à 4810m

    Plutôt que de me refroidir à attendre les autres sur place, je monte de quelques mètres supplémentaires pour pouvoir prendre quelques photos sous un autre angle.

    Refuge vu d'un peu plus haut Les hauts plateaux en contrebas

    Revenu au refuge, je retrouve deux autres personnes du groupe. Bien que rester devant la porte de ce frigo andin soit tentant, nous décidons avec mon collègue photographe de colibris de rebrousser chemin pour imprimer un rythme en queue de cortège. Dans le même temps, un comité de réception va se former en haut, armé de boules de neige. La bataille aura déjà bien commencé à notre arrivée. Heureusement que nous montons tous mieux que nous ne visons car je crois que dans le cas contraire, nous serions encore scotchés à la pente d'une montagne équatorienne.

    Le refuge José Rivas où nous sommes tous à présent réunis est l'ultime point de départ pour les alpinistes qui cherchent à atteindre le sommet du Cotopaxi. Il est situé à 4810m donc nous avons à cet instant toute l'Europe sous nos pieds. Nous en profitons pour faire une photo de groupe parce qu'en dehors de ce souvenir, il ne restera pas beaucoup d'autres choses mémorables : depuis le coup de chance de mon arrivée, le temps s'est à nouveau bouché et la vue imprenable donne sur ... les nuages. Quant au sommet, impossible d'en apercevoir ne serait-ce qu'un millimètre, le voile étant bien trop épais.

    Vue bouchée

    Soyons bon joueur, Albert Camus n'a-t-il pas écrit "la lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir le coeur d'un homme" et le bouddhisme ne déclare-t-il pas que "l'important n'est pas le but mais le chemin que l'on a pris pour y arriver" ? Forts de ces deux citations, vous pouvez vous réjouir même sans avoir rien vu car l'effort que nous avons accompli était beau. Alors plus de regret d'avoir raté ces magnifiques paysages colorés j'espère ?

    La redescente n'est pas technique, je vais pourtant parvenir à me couvrir de honte. En pleine conversation, je lance brusquement la jambe vers l'avant en disant : "sur ce terrain, ce serait facile de tomber comme ... çaaaaaa !!!". Suit un esthétique roulé-boulé dans la cendre volcanique. Il y a des moments où on apprécierait d'être vraiment tout petit. C'était le cas à cet instant précis. Le seul point positif, c'est que je rentre dans la compétition de chutes entamée il y a deux jours.

    Alors que le minibus se meut pour la redescente, apparaît un renard andin. Nous ressortons en trombe pour prendre quelques photos.

    Renard andin

    Son attitude me laisse pantois quant à l'ampleur de la crise économique sévissant actuellement : si même les renards sont contraints de faire les poubelles à présent, où va le monde ?

    Quelques centaines de mètres plus bas et kilomètres plus loin, nous parvenons au restaurant de ce midi. Celui-ci propose un atelier colibris étoilés inclus dans le menu. Comme ces petits oiseaux ont une fâcheuse tendance à déguerpir à toute vitesse avant même que vous n'ayez eu le temps de les prendre (sauf une personne de notre groupe...), le restaurant propose à son aimable clientèle une parade : les attirer avec un mélange d'eau et de sucre. Et ça marche !  

    Colibri étoilé Colibri étoilé

    En début d'après-midi, nous rejoignons la lagune Limpiopungo, petite réserve où se concentrent nombre d'oiseaux tels que les foulques, les mouettes andines ou les bécasses.

    Lagune Limpiopungo Bécasse

    Le vent souffle bien et nous finissons par apercevoir enfin le Cotopaxi dans son ensemble. Il était temps !

    Cotopaxi

    Le reste de la journée nous permet de gagner Chugchilan par une route très accidentée mais impressionnante quant aux points de vue. Les écosystèmes changent régulièrement du tout au tout. Par exemple, la vallée de la rivière Toachi m'évoque un paysage suisse de par son encaissement. Ce cours d'eau se jette à l'issue de sa longue course vers l'ouest dans l'océan Pacifique.

    Vallée de la rivière Toachi

    Un projet vise à exploiter sa puissance (en aval) via un grand barrage dans la plaine côtière, la volonté politique actuelle tendant à privilégier ce mode de production de l'énergie. Ces constructions se multiplient donc dans le pays, accompagnées de quelques centrales électriques. L'Equateur devient ainsi relativement indépendant sur le plan de l'énergie et pourrait même à l'avenir envisager d'exporter cette ressource.

    Même concernant le pétrole, la production nationale est presque suffisante. Une raffinerie existe déjà à Esmeraldas mais produit de l'essence de mauvaise qualité. La solution actuelle est l'import depuis la Colombie. Cependant, une seconde raffinerie est en cours de construction en partenariat avec le Venezuela pour accéder à l'indépendance. Quant aux réserves, elles sont abondantes en Amazonie. Comme les débuts de l'exploitation de l'or noir ont causé de graves dommages à l'environnement, et face aux réclamations des indiens à ce sujet, Correia a décrété il y a deux ans l'arrêt de l'exploitation mais appelle en contrepartie à une participation financière des équatoriens et des européens (qui ont mis en place le système d'échange de quotas d'émission de CO2).

    Autre industrie de pointe dans ce secteur de Toachi, les usines d'assemblage automobile de Mazda et Chevrolet.

      

    Notre itinéraire tantôt sur la route, tantôt sur la piste, passe au sud des Illinizas dont nous reparlerons et serpente à flanc de montagnes (russes). Peu importent l'altitude et la pente, les champs envahissent tous les versants jusqu'aux sommets.

    Patchwork andin Patchwork andin

    A Chugchilan, nous posons nos sacs dans une pension familiale confortable tenue par les parents de la famille. Les fils viennent prêter un coup de main occasionnel mais travaillent le reste du temps à Quito. Celui que j'interroge écrit par exemple des articles pour des guides de voyage.

    Au cours de la soirée, nous en profitons pour "élire" le Président aux cartes. La chance lui sourit aujourd'hui mais finira bien par tourner. Se présente également la seconde opportunité de faire du feu dans la chambre et surtout de constater que le niveau du groupe reste faible : Number One réussit à enfumer toute sa chambre et doit dormir porte ouverte. Du coup le feu n'est plus trop efficace ... Quant aux résidents de la suite nuptiale (ceux qui ont des lits pour les enfants en plus des leurs), ils craignent carrément l'incendie. Il reste cependant de l'espoir car le lendemain offrira une dernière possibilité de rattrapage. Je tenterai aussi le coup...


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  • Jeudi 8 septembre 2011

    Peu après le lever, mes oreilles bourdonnent : l'ouverture des rideaux permet de s'apercevoir qu'un essaim squatte entre le toit de la chambre et les tuiles.

    Le programme de la matinée est bien alléchant : promenade de 3h à cheval pour monter jusqu'au Quilotoa. Enfin, 3h quand on sait faire du cheval ... Nous avions effectivement oublié de préciser un léger détail secondaire : nous sommes tous des débutants ! Ce n'est pas grave j'espère ?

    Les vaillants animaux sellés, vient le moment de l'attribution des chevaux. Question piège pour commencer : "Quelqu'un est-il déjà monté ?". Ma naïveté me pousse à acquiescer après mes expériences de Kirghizie et d'Argentine; et ma malchance, à être le seul dans ce cas comme je l'ai appris hier soir au diner. Mon cheval est avancé. Il paraît qu'il est nerveux. Tout ce qu'il me fallait ! Vais-je pouvoir revivre la séquence du manège au Kirghizistan ? Avant de me vouer à tous les saints, je demande comme de coutume le nom de ma monture car ça peut être utile pour l'encourager. La réponse est on ne peut plus engageante : "Satanas" ! Pour finir, mes étriers sont un peu courts ce qui me donne une position plus proche de celle de Don Quichotte que de Lancelot ou de Godefroi de Bouillon.

    Satanas et Diabolo

    La répartition se poursuit sans encombre, suivie du signal du départ. Notre groupe de cavaliers encore en bon état traverse le village éclaboussant de sa splendeur les passants ... ou pas.

    Eglise de Chugchilan

    Satanas se révèle être un bon cheval qui aime bien progresser à l'avant du cortège et qui tient le rythme derrière l'accompagnateur de tête et JC. Le paysage autour de nous est semblable à celui d'hier soir : un terrain très vallonné, entaillé de nombreuses gorges.

    Paysage vallonné Paysage vallonné Dans un défilé

    Avec la succession de montées et de descentes, de pas, de trot et de galop, on entend les chevaux respirer de plus en plus fortement quand les pourcentages augmentent. Il n'y a pas que nous pour souffler autant en montagne, ça met du baume au coeur. Puis, sans crier gare, Satanas bascule en mode diabolique et commence à ruer. Après deux démonstrations et avant d'entamer mon premier rodéo, je demande à changer de monture. J'hérite ainsi de Tomas, le plus jeune cheval du groupe et qui est en apprentissage. Je glisse progressivement en queue de groupe car il a plutôt un tempérament flegmatique aujourd'hui. J'essaierai de l'encourager à plusieurs reprises pour qu'il évite les coups de rêne donnés par un membre de l'encadrement mais en vain. Il semble en effet apprécier la compagnie d'un de ses compères et ne le lâche pas d'une semelle.

    Tomas, mon second cheval

    Je discute également avec un des guides de la randonnée qui m'apprend que les animaux appartiennent à différents propriétaires du village qui les louent pour l'occasion. Arrivés au but, ils ne tarderont pas à rebrousser chemin par le même parcours.

    Pour moi, cette promenade équestre m'a ravi et j'ai vraiment pu en profiter pleinement du fait de mes précédentes chevauchées. Le paysage dans lequel nous évoluions était très agréable et même mon organisme réagit plutôt bien à cette activité inusuelle  si ce n'est une légère douleur à un de mes genoux due aux étriers trop courts.

      

    Nous passons ensuite déposer les bagages à l'hôtel. C'est mon tour d'être seul ce soir, mais, à voir la taille de la chambre, on pourrait en douter. J'ai même une mini-terrasse avec vue enchanteresse sur ... le parking. Les visites guidées s'enchaînent.

    Puis, nous lançons des recherches avant de placarder des avis car nous avons perdu notre seul Belge parti en promenade pédestre plutôt qu'équestre. Comment évolueraient les relations entre nos deux pays si on ne le ramenait pas au moins en morceaux ? Je n'ose imaginer ! Chemin faisant, je croise deux pelotes de laine vivantes. Alpagas dites-vous ? C'est vrai que ça me paraissait bizarre des pelotes à quatre pattes et qui avancent seules.

    Alpaga

    La chance aidant, nous finissons par remettre le grappin sur le fugueur. Sauvés !

    A peine remis de ces émotions, nous nous dirigeons vers le cratère du Quilotoa. Au coeur d'un ancien volcan, au fond de la caldeira, s'est formé un lac émeraude de 250 mètres de profondeur. Nous descendons les 400 mètres nous en séparant pour le voir de plus près et avoir l'occasion de se payer une petite montée juste pour rester en jambe. Notre concours de chutes reprend de plus belle sur un terrain cendreux et donc très instable. Il devient même dur de les compter mais le style y est incontestablement. Dans le même temps, nous commençons par nous dire que la remontée risque d'être pénible.

    Laguna Quilotoa Laguna Quilotoa

    Arrivés en bas, nous avons à peine le temps de nous remettre et de découvrir, pour certains, la légende du condor amoureux que le déluge nous tombe dessus. Cette légende raconte l'histoire d'une jeune et très triste bergère vivant seule, en train de garder son troupeau de brebis. Un jour, elle vit apparaître un jeune homme tout de blanc vêtu avec un ample poncho rouge. C'était le condor. Il s'approcha et garda un temps le troupeau avec elle. Les présentations faites, le jeune homme l'invita à aller se promener au bord d'une belle lagune appelée Quirotua. Les jours passèrent ainsi à garder le troupeau et à se promener. Mais un jour, alors qu'ils gardaient ensemble le troupeau, le jeune homme emmena la jeune bergère très loin. Celle-ci avait deux chiens pour l'aider dans son travail. Ils ramenèrent le troupeau à la maison des parents leur signalant ainsi la disparition de leur fille, emportée par un condor vers un lieu appelé Condor Matzi. L'entourage partit immédiatement à sa recherche et finit par la retrouver dans une grotte. Ils l'en firent sortir à l'aide d'une corde, la ramenèrent à leur maison et l'y enfermèrent pour qu'elle ne recommence plus à abandonner son troupeau. Mais la jeune fille, désespérée, entreprit de faire des signaux de fumée que le condor repéra à la longue. Il s'approcha alors pour libérer sa bien-aimée et s'enfuir avec elle encore plus loin. Depuis ce temps, les jours ont passé, la jeune fille s'est transformée en condor et ils vécurent heureux tous les deux pour toujours. (Sortez les mouchoirs maintenant).

    Au fond du cratère 

    Avec cette douche froide nous tombant dessus, c'est la débandade : nous partons dans un refuge à une centaine de mètres, d'autres touristes se jettent dans une espèce de niche habituellement destinée à stocker le matériel de kayak.

    Une accalmie se profilant, nous entamons la remontée par le même chemin. La pluie fait cependant rapidement son retour. Nous sommes rincés. Mais cet orage est finalement une aide car la cendre devient plus compacte et le sol plus stable, facilitant un peu la remontée. Et cela est nécessaire car une vache et son veau ont apparemment décidé de se mesurer à nous sur cette ascension. Ne concevant pas de nous faire rattraper, nous pressons le pas. Mais inexorablement, le duo bovin grignote mètre après mètre son retard. Le port de la cagoule risque de s'imposer ... Finalement, des goulets d'étranglement nous sauvent la mise en ralentissant nos poursuivantes. L'honneur est sauf ! Les chiens nous laminent peut-être mais les vaches pas encore.

    Goulet d'étranglement Faille dans la roche

    Triomphants, nous retournons à l'hôtel nous sécher et tombons sur un des derniers éléments d'un peuple en voie de disparition : une Belge, une vraie ! Comme le monde est petit. Le nombre de Belges dans l'hébergement vient subitement de doubler.

    Je tiens à terminer cette journée par une autre note positive. Je dois saluer une victoire inattendue mais bien méritée : après trois jours de vaines tentatives pour certains, le feu est enfin maîtrisé dans toutes les chambres. La Guerre du Feu entamée au pied du Cotopaxi prend fin. Tant mieux car nous n'en aurons plus besoin au bord du Pacifique.


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  • Vendredi 9 septembre 2011

    Ce matin, le ciel est bien dégagé. Nous remontons donc au Quilotoa pour bénéficier de la vue sur les environs. Dans le lointain se détachent les Illinizas, les montagnes jumelles. Celle du sud est toujours couverte de neige car plus humide, celle du nord est plus accessible aux alpinistes.

    Quilotoa et Illinizas Illinizas

    Nous partons ensuite en direction de la lointaine plaine côtière. Le trajet nous prendra toute la journée à travers une succession de décors très diversifiés. Et pour cause puisqu'en quelques heures, nous allons passer de près de 4000 mètres au niveau de la mer. Le premier d'entre eux est un gigantesque patchwork constitué de champs escaladant les montagnes à perte de vue.

    Patchwork Patchwork

    Un peu plus loin, c'est la nature qui a modelé le paysage en créant des promontoires naturels dus à l'érosion de la roche volcanique.

    Promontoires naturels

    Quant à la toile de fond, il s'agit des sommets de ces derniers jours : Illinizas d'une part et Cotopaxi d'autre part.

    Illinizas Cotopaxi

    Nous traversons les derniers villages andins avant la redescente. Bien qu'isolés, ils ne sont pas pour autant laissés pour compte. En témoigne dans l'un d'eux l'école du millénaire mieux équipée (en ordinateurs notamment) et avec des professeurs mieux formés.

    En quittant ces hautes terres dominant une  mer de nuages, JC nous décrit les fondements des sociétés indigènes : mita, redistribution et réciprocité ... Lorsque les tribus autochtones furent soumises aux Incas, peu avant l'arrivée des Espagnols, elles durent fournir de la main d'oeuvre aux chefs de cet empire (la mita). La même pratique se poursuivit sous la domination des conquistadors avec le travail dans les haciendas ou les champs, l'exploitation des mines ou la production de textile en atelier. C'est ce que l'on a appelé les obrares. Cette tradition du tissage a perduré chez les Otovaleños qui en ont fait une spécialité reconnue. D'autres mesures furent imposés aux indiens comme avoir le crâne rasé. Alors que pour eux, cette coutume était réservée aux chefs incas, les espagnols y voient un moyen de lutter contre les poux. Le port du poncho et du chapeau ainsi que les tresses pour les femmes permettent en outre aux colons de distinguer les indiens des métis. Enfin, les indigènes doivent également acquitter des taxes. Sous l'Empire Inca, ces obligations s'accompagnent de contreparties pour les locaux comme l'introduction de nouvelles cultures et animaux ou le développement d'un réseau de communication efficace : le Capac Ñan dont nous reparlerons à Ingapirca. Pour les Espagnols en revanche, tout est unilatéral allant à l'encontre des principes de redistribution et de réciprocité alors en usage. Jusqu'à leur domination, un système de don et de contre-don avait subsisté y compris sous les Incas. Mais l'arrivée des européens balaye toutes ces coutumes pour transformer les autochtones en tributaires versant des taxes de plus en plus lourdes à la Couronne et lui devant la mita. Cette différence de vision dérouta les indiens pour qui le partage des biens est primordial et contribue au prestige du chef qui les possède. Afin de maintenir un équilibre social, les plus riches organisaient de vastes fêtes au cours desquelles les richesses se rééquilibraient. Un autre exemple de redistribution concerne le partage des terres qui sont cultivées 4 ans puis laissées 4 ans en jachère pour respecter le repos de la Pachamama. L'attribution d'un terrain se faisait en fonction de la taille du foyer et était sans arrêt réévaluée : une naissance ou un mariage se soldaient par l'octroi de nouvelles terres, un décès par le retrait de parcelles. Ceux qui possédaient les meilleures terres étaient tenus de faire bénéficier la communauté de cette faveur. Quant à la réciprocité, elle s'illustre à travers le minga, le travail pour la communauté. Il peut s'agir de construire des ouvrages collectifs comme des canaux d'irrigation ou d'aller aider les autres villageois dans les travaux des champs avant qu'ils ne vous rendent la pareille.

    JC clôt ce sujet par une illustration amusante de l'incompatibilité de vision entre indiens et européens. Au cours des dernières années, une ONG italienne a fait don de cuys à une communauté indienne pour qu'elle les fasse prospérer. Mais les indigènes ayant bénéficié de cette largesse y ont vu un moyen de s'enrichir au détriment des autres villages alentours. Ils décidèrent par conséquent de mettre en pratique le principe de redistribution : ils invitèrent les autres communautés environnantes et festoyèrent ensemble en dévorant les pauvres cochons d'Inde ! Paraît-il que l'ONG n'a pas refait de don depuis ...

      

    Après un ultime col, nous basculons dans une descente interminable qui va nous conduire à la plaine côtière. Dans un premier temps, les broméliacées résistent encore. Ce sont des plantes épiphytes vivant par définition en symbiose avec les arbres sur lesquels elles poussent sans les parasiter. Elles constituent l'habitat de prédilection de certains insectes et grenouilles qui y trouvent toutes les conditions nécessaires pour s'y épanouir. Nous dépassons un véhicule insolite avant de rentrer et dans les nuages et dans la forêt tropicale.

    Descente sur la plaine côtière

    La végétation se densifie sur ce versant Pacifique comme elle le fait également sur le versant amazonien par opposition aux flancs de l'Allée des Volcans. Cette luxuriance s'appelle yunga.

    Bien plus bas, nous entrons dans les contreforts de la plaine côtière. Nous y découvrons divers oiseaux comme le martin-pêcheur, le héron, l'aigrette ou le cormoran.

    Martin-pêcheur Aigrettes Cormoran

    Après des épisodes frais mais ensoleillés ces derniers jours, nous nous trouvons à présent sous le couvert nuageux et dans la moiteur. Quelques premiers arbres jouent les éclaireurs d'une armée de plantations caractéristique de la course à la côte. Il s'agit en l'occurrence de papayers pour le moment.

    Papayer

    Petite pause à Quevedo le temps d'un plein et d'engranger quelques images d'un fournier, de nombreux tuk-tuks ou de scolaires en uniforme.

    Fournier Tuk-tuk

    Puis nous repartons pour la traversée de la province de Los Rios. Les cultures y sont omniprésentes : bananiers, caféiers, palmiers à huile, cacaotiers ... Concernant le bananier, il a une espérance de vie de 8 à 9 mois durant lesquels il ne donne qu'une seule fois des régimes. Après, le tronc meurt et un nouveau repart (par bouturage par exemple) de la base de la plante. Le cacao est lui devenu une plantation attractive du fait du renchérissement de son prix. De nombreuses coopératives se structurent actuellement pour son commerce. Il pousse sous forme de cabosses rouge foncé lorsqu'elles se développent et rouge clair à maturité.

    Palmiers à huile

    Ces cultures étendues sur des dizaines de kilomètres permettent de mettre en évidence l'opposition entre les Andes et la plaine côtière. Alors que les premières se caractérisent par de petits lopins dont le but est l'exploitation traditionnelle pour l'autoconsommation, la seconde est le royaume de l'agro-industrie et des haciendas tournées vers l'exportation. On parle dans le premier cas de minifundios et dans le second de latifundios, où peu de familles possèdent toute la terre et beaucoup de main d'oeuvre.

    Succèdent à ces terres agricoles, les bambouseraies et parcelles de tek. Le bambou est un matériau utilisé dans la construction des habitations locales : les parafitas. Il s'agit de maisons sur pilotis pour s'isoler de l'humidité de la terre. Les animaux domestiques vivent au-dessous. Et l'aération de la maison est meilleure. Quant au tek, il fut importé d'Indonésie dans les années 80 en raison de son cours sur le marché. Son bois peut être exploité au bout de 20 ans.

    Parafita

    Nous découvrons enfin une ultime plante : la tagua ou ivoire végétal, utilisé dans l'artisanat.

     Tagua

    Aux plantations succèdent des collines intérieures, terre des Montubios, les cow-boys locaux à la tête couverte d'un panama, éleveurs de vaches et propriétaires de ranchs. Ils sont remarquables en matière d'improvisation poétique, se lançant dans de vraies joutes chantées et accompagnées à la guitare.

    Quelques kilomètres plus loin, la forêt tropicale sèche nous entoure. Il s'agit d'arbres sans feuille, comme si la vie les avait abandonnés, mais les pluies de début d'année leur redonnent généralement un aspect plus habituel pour une durée éphémère. Cette végétation est typique du Parc National de Machalilla dans lequel nous allons évoluer les deux prochains jours. Cet écosystème comprend notamment des palissandres, des cactus candélabres et le ceibo. Ce dernier est plus usuellement appelé kapokier ou fromager et se pare à l'occasion de fleurs blanches.

    Ceibo

    A une encablure de l'océan, nous marquons un dernier arrêt culturel au niveau de Montecristi, village phare du chapeau panama.

    Panamas

    En repartant, la rencontre avec le Pacifique est momentanément retardée, le temps pour nous de passer par Jipijapa puis Puerto Cayo. L'immensité bleue est alors à portée de regard et nous la longeons jusqu'à notre destination : Puerto Lopez.

    Plutôt que de filer directement à l'hôtel, nous faisons un dernier crochet  vers le bout de la plage pour y découvrir le squelette d'une baleine morte à 28-30 ans d'un cancer.

    Squelette d'une baleine

    La présence de ce mammifère ici n'est pas due au hasard. Les baleines à bosse viennent mettre bas dans les eaux équatoriales et notamment au large de Puerto Lopez car les eaux y sont peu profondes (40 mètres en moyenne). Après une gestation de 11 à 13 mois, le baleineau nait ici avant un retour vers l'Antarctique. Leur durée de vie est de 40 ans approximativement.

    Après un tel transfert, une balade les pieds dans le sable et au couchant est la bienvenue. Cette fois-ci la pente n'est pas trop difficile ni fatigante. La seule chose qui cloche un peu, c'est la température de l'eau en prévision de la baignade de demain.

      


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  • Samedi 10 septembre

    Depuis longtemps, j'attends ce jour pour la rencontre avec les fous. Je ne parle bien sûr pas d'une visite dans un asile mais de celle à des oiseaux emblématiques de ce pays. Avant de les rejoindre, il nous reste cependant quelques heures à patienter.

    Le lever est matinal sur les conseils de JC car le pouls de Puerto Lopez bat dès l'aube et le retour des pêcheurs. Au sud de la cité, l'activité grouille avec le ballet des marins déchargeant leurs prises, les combats aériens de frégates se disputant des poissons, le marché qui s'anime et les badauds qui déambulent. En théorie, il est interdit de pêcher espadons et requins sauf en cas d'accident. Apparemment, les accidents ne seraient pas si exceptionnels par ici car ces deux espèces sont présentes en grand nombre au côté de raies, de seiches et autres prises.

    Retour de la pêche Raies et requins marteaux Espadons

    Animation au marché Requins Seiches

    Autour de ce désastre gravitent également de nombreux oiseaux : outre les frégates, pélicans et vautours à tête noire se repaissent de la moindre "proie" abandonnée.

    Pélican Vautour à tête noire

    Retour à l'hôtel par la longue promenade en bord de plage. Quelques tuk-tuks parcourent les rues poussiéreuses à la recherche de clients ou les acheminant vers le port. De notre côté, nous nous préparons pour notre excursion du jour, un bateau allant nous conduire à l'Ile de la Plata, à 40 km au large. Parvenu à la plage, je me rends compte que j'ai bêtement oublié l'appareil photo sous-marin jetable acheté spécialement pour l'occasion. C'est ainsi que j'ai eu le droit de m'essouffler inutilement pendant une des premières journées de repos du voyage en repartant à l'hôtel en courant.

    De retour au bord de la mer, j'embarque sur le bateau qui largue immédiatement les amarres. Nous passons dans un premier temps à la capitainerie qui répertorie les passagers. De la même façon qu'elle surveille le retour de la pêche et de ses accidents ? Puis nous gagnons le large à la recherche éventuelle de baleines. Cette quête restera toutefois vaine à l'aller même si l'équipage nous assure qu'elles sont actives le matin.

    Le nom d'Isla de la Plata, "île d'argent", pourrait avoir deux origines. Commençons par la moins poétique : ce serait le guano éclairé par la lune qui lui donnerait cette couleur et par extension son nom. Autre piste : la présence attestée de pirates sur les côtes équatoriennes qui auraient laissé leur butin quelque part dans l'île. Et accessoirement, on parle aussi de "Galapagos du pauvre" car l'île offre quasiment la même diversité que son illustre homonyme mais se trouve moins loin  donc est moins chère.

    A notre arrivée près de ses côtes, notre bateau est assailli de toutes parts par de féroces animaux dévorant sans pitié toutes les feuilles de salade tombant à la mer. Ce sont de magnifiques tortues qui savent où elles vont recevoir à manger en contrepartie d'une petite parade devant une horde de touristes prêts à faire chavirer le bateau sous le coup de l'enthousiasme.

    Tortue Tortue

    Le plus courageux d'entre nous ose même risquer sa main en immergeant son appareil photo pour une prise sous-marine. Le cliché est magnifique mais ne m'appartenant pas, il ne sera pas exposé dans ce blog. En tout cas, merci !

    Les fauves repus, nous pouvons envisager de débarquer sans se faire attaquer les pieds. Sur le bord de mer, de nombreux petits crabes rouges filent se mettre à l'abri en creusant le sable à une vitesse vertigineuse.

    Crabes

    Sur la plage du débarquement, nous rencontrons également des moqueurs et des moineaux. Les premiers tiennent leur nom de leur capacité à moduler leur cri pour imiter d'autres espèces.

    Moqueur Moineau

    Nous passons ensuite dans des pédiluves assurant en théorie l'île contre toute contamination provenant du continent. Et de toute manière, nous n'avons plus nos chaussures, sandales ou tongs depuis que nous avons embarqué. Cependant, je dis "en théorie" car les mesures sanitaires préventives ne peuvent rien contre les armes bactériologiques qui me vaudront un peu plus tard dans la journée un arrêt cardiaque.

    L'île mesure 5km de long pour 2km de large. Pour la découvrir, deux parcours balisés sont proposés : celui de la pointe Escalera que nous allons emprunter ou celui de la pointe Machete qui permet notamment de voir deux otaries égarées. Elle fait partie du Parc National de Machalilla créé en 1979, époque où l'île était quasiment abandonnée après avoir appartenue à un riche entrepreneur de Guayaquil notamment. Ce Parc couvre aujourd'hui 160 000 hectares à cheval sur le continent et l'océan. Son paysage caractéristique est la forêt tropicale sèche déjà évoquée à la fin du trajet d'hier. Les arbres n'y fleurissent ou verdissent qu'éphémèrement après la pluie mais, la plupart du temps, ils sont sans feuille afin de conserver un maximum d'énergie dans cette lutte permanente pour la survie. Une seule essence déroge à cette règle : le Sébastien dont les racines sont plus profondes et qui tente de maintenir autant que possible ses feuilles à la verticale.

    Arbre de Sébastien Forêt sèche tropicale

    Du point de vue animalier, c'est surtout un sanctuaire ornithologique car le reste de la population est sous-marine à quelques exceptions près.

    La promenade débute par une franche côte agrémentée d'une volée de marches. Le soleil est de plomb. Les environs, pour le moment, déserts. Et, soudain, finit par apparaître cette couleur céruléenne tant attendue : voilà nos fous !!! Chez les pattes bleues, même le mâle doit se mettre à l'ouvrage pour couver. La période de nidification court de mai à décembre. Initialement, il peut y avoir jusqu'à 13 oeufs mais le couple n'en élève que deux maximum. La gestation dure 45 jours et un mois est nécessaire avant que le rejeton n'apprenne à voler. La vie de famille n'est même pas envisageable car les couples ne durent qu'un an. Passé ce délai, la femelle garde le même nid tandis que le mâle doit chercher un nouveau foyer.

    Fou en train de couver Fou couvant deux oeufs

    Ses prédateurs sont multiples : vautours à tête rouge ou à tête noire, chats aujourd'hui éradiqués et rats  !

    L'oiseau ouvre régulièrement le bec de manière à réguler sa température corporelle et non parce que nous l'avons ébahi même si ça aurait pu ...

    Ouverture du bec

    Le bébé est duveteux telle une peluche et il possède pas mal de graisse en réserve en attendant de pouvoir décoller. Ce n'est qu'à partir de 8 mois que ses pattes vont se pigmenter en bleue. Enfin, sauf si la femelle a trompé son mari avec un pattes rouges ... De toute façon, ils divorcent à chaque fois comme je viens de le souligner alors à quoi bon être fidèle !

    Cette espèce se nourrit essentiellement de sardines et de chomus - des petits poissons - qu'elle pêche en plongeant d'une hauteur pouvant atteindre 25 mètres. Ils peuvent alors parcourir jusqu'à 8 mètres sous la surface.

    La mâle est plus gros, plus grand et a les yeux plus clairs. Il tend à siffler alors que la femelle "croasse" davantage. 

    Zoom sur la tête

    Leur espérance de vie peut atteindre 17 à 20 ans ! 

    Ces oiseaux nidifient au sol et peuvent se retrouver à plusieurs couples sur une surface réduite. Il n'est donc pas rare que des disputes territoriales éclatent avec les voisins. Et même avec les touristes, ils ne s'en laissent pas toujours raconter. N'est-ce pas ?  

    Quant à ce qui fait son charme, c'est cette façon inimitable de parader. Le rituel comporte plusieurs phases avec le déploiement des ailes, une démarche très chaloupée pour bien montrer les pattes et le renversement des ailes vers le sol ...  

    Malheureusement pour les pattes bleues, les deux dernières années semblent avoir été plus délicates en termes de taille de la couvée. Les gardiens de ce Parc National l'expliquent par le réchauffement climatique qui repousserait leurs aliments de prédilection plus au large.

      

    Nous atteignons rapidement l'autre côté de l'île. Le vent souffle et fait éclater les vagues sur les rochers. Notre guide scrute la mer à la recherche d'indices sur la présence de baleines. Après cette petite pause, nous repartons visiter les habitants.

    Vague éclatant sur les rochers

    Un peu plus loin, nous tombons sur des fous de Nazca. Ils pondent deux oeufs mais n'élèvent qu'un seul oisillon. Eux aussi changent de partenaire tous les ans et la phase de séduction passe également par une parade qui s'étale sur 15 à 20 jours. Leur espérance de vie est de plus de 20 ans. Enfin, ils peuvent voler jusqu'à 50 kilomètres en mer pour aller pêcher des calamars.

    Fous de Nazca Fous de Nazca

    La chance nous sourit et, à peine plus loin, l'un de nous repère l'oiseau du paradis. D'une espérance de vie de 12 à 15 ans, ils se nourrissent exclusivement de poissons et de coquillages. Ils organisent des tours de garde au nid pendant que le conjoint va s'alimenter. Le mâle se reconnaît par son bec plus rouge que celui de la femelle.

    Oiseau du paradis Falaise de l'Isla de la Plata

    La traversée de l'île reprend et notre itinéraire croise celui de nombreux fous à pattes bleues, de loin l'espèce la mieux représentée par ici. Après une demi-heure de progression supplémentaire, nous arrivons sur le territoire de deux autres espèces pour le coup juchées dans les arbres : les frégates et les fous à pattes rouges.

    La frégate est plutôt un profiteur : son plumage ne lui permettant pas de plonger pour s'alimenter, il se nourrit de poissons "volants" dans deux sens du terme. D'une part, ceux qui parviennent à survoler les flots sur quelques mètres et, d'autre part, ceux qui tombent du ciel aidés par leur technique de chasse : les frégates s'en prennent aux pattes bleues pour leur faire régurgiter leurs prises. Les mâles se distinguent par une membrane rouge qu'ils gonflent à l'occasion pour attirer une femelle. Les jeunes ont la tête toute blanche. Ces oiseaux sont surveillés de près car ils ne pondent un oeuf que tous les deux ans.

    Frégate Frégates Frégates

    Quant aux pattes rouges, il n'y a qu'une quarantaine de couples présents sur l'île.

    Fou à pattes rouges

    Notre safari-photo se termine. Nous avons bien vu le "big five" local. A présent, place à la mer. Immédiatement après un repas léger, nous enfilons nos tenues de bain pour 25 minutes de bonheur à découvrir - pour ma part - une nouvelle activité : le snorkeling. Il s'agit de masque-tuba 8 mètres au-dessus de récifs coralliens et au milieu de poissons aux teintes grises, noires, jaunes ou bleues. Avant de commencer, je craignais de ne pouvoir en profiter à cause de ma vue de pachyderme : comment distinguer Némo de Willy ou un poisson rouge d'une baleine sans mes précieuses lunettes ? Mais sous l'eau ma vue est parfaite, ce qui est une sensation des plus agréables. Au contraire, une autre l'est moins : j'ai l'habitude de respirer par le nez et non par la bouche, ce qui fait que je respire comme un phoque après seulement une vingtaine de mètres de crawl et que j'ai l'impression (factice) d'étouffer avec le tuba ! Je bazarde celui-ci sur le bateau et repars pour quelques courtes séances d'apnée dans les rochers au bord des falaises. C'est là que se trouvent les bancs les plus nombreux. Grisé par ce que je vois, le temps s'égrène à toute vitesse et, au moment de regagner le bateau, je suis un peu frustré d'être resté si peu de temps dans l'eau. Qu'importe je sais désormais que j'apprécie au plus haut point cette activité et je chercherai à en refaire dans un prochain voyage.

    Le retour ne va pas être direct car nous partons à la recherche des baleines. Après une demi-heure à jouer les bouchons de liège sur une mer ondulée, nous apercevons le souffle d'un premier spécimen. Elle se met à frapper l'eau de sa queue pour signifier qu'elle refuse les avances d'un mâle.

    Baleine frappant l'eau de sa queue

    Les baleines locales sont des baleines à bosse venues de l'Antarctique. Elles mesurent 16 mètres de long pour les femelles, 13 à 14 mètres pour les mâles. Leur poids tourne autour des 35-40 tonnes. A la naissance, le baleineau mesure déjà 5 mètres et pèse 1,5 tonne. Le nombre d'individus dans le Pacifique se situe selon les estimations entre 6000 et 10000. Chacun d'eux possède néanmoins une marque différente sur la queue l'identifiant de manière unique. Les baleines peuvent plonger une trentaine de minutes avant de remonter à la surface pour expulser l'air de leurs poumons. Elles ne dorment jamais mais se reposent. A travers leurs fanons, elles filtrent le krill, le plancton et les crevettes à raison de 1 à 2 tonnes par jour. Ce sont des mammifères sociables qui, pour attirer leur pitance, créent des bulles d'air concentriques.  Leur couche graisseuse, très prisée par les "chercheurs" japonais, atteint au maximum 50 cm. Au moment du retour vers l'Antarctique, elle ne mesure plus que 10 cm. Le mâle peut se reproduire à partir de l'âge de 7 ans, la femelle dès 5 ans. Ils peuvent donner naissance à un petit tous les 2 ans et celui-ci va les accompagner ensuite pendant 1 an et demi.

    Ayant perdu de vue la première, nous faisons des ronds dans l'eau à la recherche d'une autre manifestation. Quelques spécimens apparaissent de-ci de-là.

    Baleine Baleine Baleine

    Peu à peu, les plus jeunes d'entre nous commençons à être plus ou moins mal en point à force de connaître des hauts et des bas (des vagues) alors que d'habitude, j'ai personnellement plutôt le pied marin. Mais, la fortune va mettre ces sensations de côté temporairement car nous finissons par dénicher un groupe de 6 à 8 individus se déplaçant côte à côte, majestueusement. Tantôt il se dirige droit sur nous, puis il nous accompagne un long moment. Je referais bien un peu de snorkeling ! Nous sommes tous aux anges même s'il aurait été incroyable de les voir sauter hors de l'eau.

    Baleine Baleines Baleine  

    Nous retrouvons tout de même avec plaisir la terre ferme. Par contre, retrouver l'air de la chambre après celui de la mer est plutôt rude ...


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